lundi 3 novembre 2014

Les femmes et les sports extrêmes

Sous les feux de la rampe


Du 28 mai au 1er juin, près de 2000 sportives et sportifs, amateurs ou professionnels se sont affrontés pour la 18e édition du Festival International des Sports Extrêmes (Fise) à Montpellier. Sur la cinquantaine de compétitions programmées, six étaient dédiées aux femmes. Malgré une évolution, la place des femmes dans les sports extrêmes reste encore confidentielle.

Les berges de la rivière du Lez à Montpellier sont noire de monde. Le Festival international des sports extrêmes draine un public nombreux sur ces quatre jours de compétition où amateurs et professionnels s’affrontent, notamment sur des modules imposants qui constituent le skatepark.


Une heure de programmation importante

Sur la cinquantaine de rendez-vous programmés, six ont la dénomination « Girl », c’est-à-dire exclusivement réservés aux filles. Historiquement, la participation féminine au Fise remonte à 2008, avec la première catégorie « Roller Girl ». « Au début, elles faisaient la compétition avec les hommes ou les moins de 12 ans. Comme elles étaient peu, difficiles d’ouvrir une catégorie spéciale », précise Precilia Verdier, co-fondatrice de l’association Roll School à Montpellier. La jeune femme de 28 ans, pratiquante de roller depuis dix ans, connaît bien cette problématique, elle en a fait son sujet de mémoire.
Côté organisation, on constate une évolution positive. « Avant, les filles étaient programmées le matin, témoigne Anne-Cécile Amirault, responsable communication au Fise depuis huit ans. Une heure peu propice… » Elodie Gilbert, skateuse de 20 ans, confirme : « L’an dernier, on était en même temps que les BMX pro et personne ne nous regardait. Cette année, on est passée après les BMX pro, donc il restait un peu de public pour nous regarder. »

La force du spectaculaire

Malgré une meilleure prise en compte des femmes côté programmation et horaires, comment expliquer que le public boude encore les compétitions féminines ? « On prend moins de risques que les garçons, on s’envole moins haut même si en technique, on fait les mêmes choses », souligne, avec insistance, Maeva Lannier, jeune skateuse de 18 ans. Qu’elles pratiquent le BMX, le roller ou le skate, toutes constatent que les hommes sur les rampes « envoient » des figures et des sauts spectaculaires remportent l’adhésion du public. « On reste plus souvent au sol, on touche moins de modules que les garçons. On fait moins de cascades », admet Elodie Gilbert. Et pour les sponsors et les médias, le côté spectaculaire est vendeur. « Dans les skateparks, ce que va proposer une fille va être moins grandiose que les hommes. Or, le peu de médias ou sponsors qui sont dans ces sports s’intéressent au spectaculaire », confirme Rémi Dupeloux, président de la commission Freestyle à la fédération de roller.






« Sports d’hommes », « sports de femmes »

« Un milieu d’hommes », « un sport d’hommes »… Elles sont nombreuses ces petites phrases à revenir dans les discussions. « On a tendance à comparer les hommes et les femmes dans leurs pratiques sportives, et on arrive à des pratiques genrées : la danse pour les filles, le football pour les hommes », regrette Precilia Verdier.
Les sportives du Fise ont quasiment toutes essuyé ce type de remarques stéréotypées. Dans les skatepark, pas forcément des insultes mais du mépris, et la désagréable impression de ne pas être à sa place. Jusque dans leur famille pour certaines. « Ma mère me soutient mais a plutôt peur, explique une jeune. Un jour, elle m’a dit : « Tu ne peux pas plutôt faire un sport de fille comme la danse ? ». Mais pour la sportive, le roller n’a rien d’un sport d’hommes. « Je me définis comme un garçon manqué dans le sens où dans ce sport il ne faut pas avoir peur de se casser un ongle », ironise-t-elle.
Remarque identique pour Alexia Dejoie, sur un BMX depuis dix ans : « Mon père voulait que je sois une fille normale, que je fasse de la danse. Mais, en danse on peut se blesser pareil », sourit-elle. Globalement, les parents semblent tout de même soutenant. Pour Isabelle, par exemple, la mère de Maeva, il n’y a jamais eu d’inconvénient à ce que sa fille pratique le skate : « Maeva s’est toujours défendue pour dire qu’il n’y avait pas de différence, une fille peut faire pareil qu’un homme. Et je suis d’accord. »
Un argument confirmé par Kevin Dubus, 31 ans et professeur de roller à Gignac dans le cadre de l’association Roll School : « Les filles ont leur place. Certains pensent qu’elles sont moins athlétiques. En réalité, on a les mêmes envies et on souffre pareil lorsque l’on chute. Je trouve même que les filles se plaignent moins que les hommes. »


Le prix de la différence

« Au Fise, en roller, on gagnait du matériel. Les garçons, même amateurs, remportaient de l’argent », constate Lisa-Marie Authié. Precilia Verdier, de Roll’school, nuance : « Les sportives ne sont pas assez nombreuses. Il existe une catégorie « girl » sans différence entre pro et amateur. Les organisateurs ne peuvent pas faire gagner le même prix aux filles et aux hommes avec ces différences de niveau. »
Anne-Cécile Amirault, responsable communication du Fise, confirme : « Pour faire venir certains rideurs pro, nous avons un budget de partenaires à répartir. Ce serait très bien d’avoir des partenaires pour les catégories féminines où l’on pourrait augmenter les price money. Mais malgré une évolution, la part des sponsors exclusivement féminin reste faible. » Depuis quelques temps, une marque, notamment sur les compétitions de roller, met en place des price money équivalents entre hommes et femmes, lorsque le nombre de sportifs et sportives est équivalent. Une pratique encore rare.






Au skatepark, « la loi de la jungle »

Les sportives sont unanimes : pas facile de trouver sa place au skatepark. « Lorsque je suis allée dans un skatepark, les premières fois, j’entendais les garçons me dirent que je n’avais rien à faire là », souligne Alexia Dejoie, pratiquante de BMX. Maeva, skateuse, confirme : « On peut ressentir un certain mépris des hommes. Mais une fois que tu leur montres ce que tu sais faire, que tu t’imposes, alors le groupe devient comme une famille. »
Une famille qui lors des compétitions et des entraînements se dispute pourtant la place. Et une fois de plus, les filles doivent se battre. « Sur le Fise, lors de l’entraînement, c’est un peu la loi de la jungle, explique Elodie Gilbert, skateuse. Les garçons nous coupent  nos lignes et c’est difficile de s’insérer. » Cette année, suite à la demande de plusieurs rideuses, l’organisation a réservé le skatepark durant 45 minutes exclusivement aux filles.


La Muse Sportive inspirée par les sports extrêmes

En octobre 2013, cinq étudiants, quatre filles et un garçon, de l’université Montpellier II créent l’association La Muse Sportive. Objectif : organiser, pour la Journée des droits des femmes, un événement sur l’égalité et la mixité dans le milieu des sports extrêmes.
« Roule ma poule » investit donc le campus le 13 mars 2014 avec démonstrations de roller, BMX et skate. Vingt sportifs pro ou semi-pro, dont quinze femmes, se relaient sur la rampe. Sarah Pelegrin, 21 ans et co-fondatrice de La Muse, le reconnaît : « Les inégalités dans le sport sont criantes. Les hommes semblent porter un discours d’égalité souvent peu suivi d’effets. D’un autre côté, certaines femmes se plaignent d’être peu considérées, mais pour moi, elles sont encore bloquées dans les schémas que nous impose la société. »
Aujourd’hui, La Muse Sportive est en sommeil. Mais pour Sarah, le combat doit être quotidien. « Je ne me verrais pas dans une association féministe car le militantisme et ses extrêmes peuvent me faire peur. Mais la lutte doit se construire aussi en dehors du milieu associatif. » 







Marie-George Buffet : « Le sport, un combat politique »


Ministre de la Jeunesse et des Sports de 1997 à 2002, Marie-George Buffet livre son regard sur la place des femmes dans le sport. Avec pour conviction première que les pouvoirs publics ont leur rôle à jouer.

Lors du FISE à Montpellier, on a pu entendre : « Le skate est un sport d’hommes. » Que vous inspirent ces propos ?
Ce vocabulaire donne à voir toute l’immensité de la discrimination dans les pratiques sportives, et pas uniquement dans ces sports.

Comment lutter contre ce type de discriminations ?                                  
Il existe plusieurs leviers. J’ai rencontré des professeurs d’éducation physique et sportive qui n’étaient pas volontaires pour faire jouer les filles au foot par exemple. La prévention dans le milieu scolaire est donc fondamentale. Ensuite, les fédérations doivent favoriser et surtout valoriser les pratiques féminines.

Pourquoi existe-t-il un tel manque de visibilité du sport féminin ?
C’est avant tout un manque de médiatisation ! Le sport féminin ne représente que 7% dans les médias. Or, si on donne à voir du beau spectacle de sport féminin, on donnera aussi envie aux petites filles de pratiquer et on apportera au public un autre regard. A Roland-Garros, la finale femme est tout autant suivie que la finale homme.

Dans des compétitions de haut niveau comme les JO, certaines femmes sont autorisées à pratiquer voilées. Qu’en pensez-vous ?
Ce sont des règles édictées par les fédérations internationales. Mais sur des règles sportives, l’Etat ne peut rien faire. Par contre, les pouvoirs publics ont le devoir de faire pression : il faut que la parole publique s’exprime sur ces questions. Le sport est un combat entièrement politique.

Vous avez déclaré que « la pratique féminine sportive devait être une priorité transversale. »
Le sport, c’est le rapport au corps. On touche toutes les problématiques liées aux droits des femmes. Nous sommes dans une société au discours conservateur où le rôle de la femme dans la famille est encore de procréer et d’élever les enfants. Or pour faire du sport, il faut de la disponibilité. Comment conjuguer vie professionnelle et activités sportives si la femme est réduite à ce rôle…
La lutte de la visibilité des femmes dans le sport, c’est un combat contre la domination patriarcale, comme dans d’autres domaines. Par exemple, une licence dans un club a un coût. Pour une famille modeste, on va privilégier l’inscription du garçon car on estime qu’il doit faire du sport pour se canaliser. La fille, elle, est plus sage elle peut rester à la maison. Ce sont tous ces stéréotypes qu’il faut remettre en cause.

Propos recueillis par NL  

 

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